En 1989 avait lieu à Rome un colloque intitulé: " l'Ukraine,
la nation oubliée ". Dix ans se sont écoulés depuis
l'accession de l'Ukraine à l'indépendance, plus de dix ans se
sont écoulés depuis ce colloque et aujourd'hui, chacun
trouverait très surprenant que l'on considère comme une nation
oubliée un pays de près de 50 millions d'habitants.
A la veille du dixième anniversaire de l'établissement de
relations diplomatiques entre la France et l'Ukraine, alors que
l'indépendance de l'Ukraine a déjà dix ans, cette journée de
l'Ukraine à l'Assemblée nationale tend à rappeler ce qui est désormais
up@., évidence: l'Ukraine est bien présente et elle a plus que
jamais un rat à jouer.
Nous assistons à la renaissance et à l'affirmation de
l'Ukraine.
L'Ukraine a une identité spécifique: L'Ukraine n'est pas
un nouvel Etat, puisque son indépendances été proclamée une
première fois en 1918. Le Parlement actuel a d'ailleurs repris le
nom de la " Rada " (" conseil "), qui avait
proclamé cette fragile indépendance. Si je rappelle ces points
d'histoire, c'est que l'identité de ce pays s'est confondue avec
son histoire, ses tragédies, que nous découvrons pour certaines
aujourd'hui, comme la famine des années trente, mais surtout avec
sa langue. D'ailleurs, l'Assemblée a tenu à ce que l'ukrainien,
votre langue, soit une de nos deux langues de travail aujourd'hui.
Je remercie l'ambassade d'Ukraine à Paris pour l'aide qu'elle a
pu nous apporter, et je me réjouis avec mes collègues d'entendre
votre belle langue. L'existence d'une identité propre à
l'Ukraine est désormais admise. Le souvenir d'un Etat ukrainien
était jusqu'en 1991 relativement lointain, il a fallu quelques
années pour que l'on parle de l'Ukraine comme d'un acteur à part
entière de la diplomatie européenne, et le premier succès de
l'Ukraine indépendante a justement consisté à rendre cette indépendance
visible et irréversible.
Ces
premiers dix ans n'ont pas été une " décennie perdue
" mais une décennie de démarrage. La décennie qui
vient de s'écouler a été difficile pour l'Ukraine. Les
difficultés de la transition économique ont été particulièrement
sensibles, l'Ukraine souffrant de sa forte dépendance énergétique
à l'égard de la Russie et de l'endettement qui en découle.
Cette question est aujourd'hui en voie de règlement et ne devrait
plus peser du même poids. -
Le
potentiel économique de l'Ukraine demeure néanmoins important,
en particulier dans les domaines agricole et industriel. L'Assemblée
nationale a été associée à la coopération entre l'Ukraine et
le ministère de l'agriculture français. J'ai reçu moi-même Mme
Vaschouk, votre collègue Présidente de la Commission de
l'agriculture à la Rada. Enfin, les derniers chiffres de l'économie
ukrainienne autorisent un certain optimisme. Après dix ans, l'économie
ukrainienne a connu son premier taux de croissance positif depuis
1991 en 2000 : une croissance de 6% ainsi qu'un excédent de la
balance commerciale de 2,8 milliards de dollars.
La
faite des capitaux, problème qui a longtemps pesé sur l'économie
de l'Ukraine, semble avoir fortement diminué puisqu'elle est passée
de 1 milliard de dollars en 1999 à 1 00 millions de dollars en
2000.
Aussi
bien en ce qui concerne l'Ukraine qu'à propos de sa situation en
Europe, utiliser à propos des années quatre-vingt-dix cette
expression, que l'on entend parfois, de " décennie perdue
" est erroné. Au-delà du bilan économique de la décennie,
pendant laquelle il a fallu en quelque sorte régler la facture de
la gestion précédente, il est apparu d'une manière de plus en
plus évidente que l'indépendance acquise en 1991 n'avait aucun
caractère artificiel, contrairement à ce que l'on entendait
souvent à l'époque. Là se trouve l'acquis majeur de la décennie.
Si
l'identité d'un pays se construit dans le regard que lui portent.
les autres, l'Ukraine est aujourd'hui reconnue alors qu'en 1993,
M. Kravtchouk constatait avec amertume que "sur les cartes
des dirigeants du monde, l'Ukraine n'existe même pas ".
L'Ukraine
a consolidé son indépendance et affirmé sa souveraineté.
Au-delà de la dépendance économique vis-à-vis de la Russie,
l'Ukraine a su ces dernières années entériner dans les faits
une indépendance qui paraissait un peu théorique il y a dix ans.
L'Ukraine a tout d'abord normalisé ses relations bilatérales
avec la Russie. Elle a fait en sorte que la Communauté des Etats
Indépendants (CEI) ne, soit pas pour elle un simple prolongement
du carcan soviétique - ce qui ne paraissait absolument pas évident
en 1994. L'Ukraine est parvenue à régler les différents
contentieux qu'avait laissés une indépendance peut-être un peu
soudaine, à savoir les questions de la Crimée, de la flotte de
la mer Noire ou encore la question de la présence sur son sol
d'une partie de l'arsenal nucléaire soviétique.
C'est
ainsi que le Traité d'amitié et de coopération que l'Ukraine et
la Russie ont signé le 31 mai 1997 non seulement réglait définitivement
ces problèmes, mais surtout entérinait définitivement cette
souveraineté ukrainienne, qui était parfois peu ou mal acceptée
à Moscou. Il s'agit donc d'aider l'Ukraine à bâtir vis-à-vis
de la Russie une relation sur un pied d'égalité.
Il
reste que l'intégration entre les deux pays est profonde. Environ
la moitié de la population ukrainienne parle le Russe et
l'Ukraine continue de dépendre des ressources énergétiques
russes. Il n'est donc pas question pour l'Ukraine de couper ses
relations avec son voisin russe, ni d'établir avec ce dernier des
rapports de méfiance qui seraient néfastes pour l'un comme pour
l'autre. L'Ukraine est aujourd'hui bien décidée à ce que ses
relations avec la Russie ne relèvent pas d'un rapport "
entre aîné et junior ", pour reprendre la formule prononcée
en 1992 par le Président Kravtchouk.
L'Ukraine
est une puissance régionale.
Elle
est un partenaire pour la paix : la meilleure preuve de l'émancipation
de l'Ukraine est le rôle joué par cette dernière au niveau
international. L'Ukraine a fortement affirmé cette volonté en
annonçant en 1996 un partenariat stratégique avec les Etats-Unis.
L'Ukraine a également été le premier pays à adhérer au
partenariat pour l'initiative de paix de l'OTAN et en a été un
participant très actif L'OTAN et l'Ukraine ont également signé
en 1997 une " charte de partenariat spécifique " qui
inclut un mécanisme de consultation lors des crises.
Plus
concrètement, l'Ukraine participe activement au maintien de la
paix en ex-Yougoslavie et, à cette fin, a constitué un bataillon
commun avec la Pologne. Ce faisant, l'Ukraine a montré qu'elle était
en mesure de construire une relation bilatérale approfondie avec
un futur membre de l'Union européenne. L'Ukraine a également
cherché à se montrer à la hauteur de ses responsabilités régionales
en participant activement à la recherche d'une solution au problème
de la Transnistrie.
Elle
est une puissance régionale européenne. L'Ukraine a également
fait la preuve de sa capacité à construire, dans un cadre régional,
une relation multilatérale constructive. L'Ukraine adhère au
Conseil de l'Europe en 1995, puis devient membre de l'initiative
centre-européenne. L'Ukraine s'est en outre montrée active dans
le cadre du GOUAM (Géorgie, Ouzbékistan, Ukraine, Azerbaïdjan,
Moldavie) ou de l'organisation de coopération économique de la
mer Noire. C'est par cette participation à des forums régionaux
et par la mise en place de relations bilatérales harmonieuses
avec ses voisins roumain, bulgare et polonais que l'Ukraine assume
le rôle central que lui confère sa géographie.
Nous
devons également prêter attention à la capacité qu'a l'Ukraine
d'entretenir des relations avec l'ensemble des républiques
caucasiennes. L'Ukraine, de par sa position géostratégique, est
à même de favoriser une présence européenne dans cette région.
Cette relation avec la Pologne, les Présidents Kravtchouk et
Walesa ont commencé à la construire dès 1993, et son importance
s'est progressivement accrue à mesure que se précisait la
perspective de l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne,
adhésion qui fera de l'Ukraine un pays frontalier de l'espace
Schengen. En tant que Président de la Délégation à l'Union
européenne, je ne peux que m'interroger sur la position que nous
devons adopter face à l'Ukraine suite au prochain élargissement
de l'Union à ses voisins les plus proches.
Pour
ces raisons il existe une stratégie visant à encourager
l'Ukraine. Le plus important et le plus difficile est donc
d'adopter le juste comportement vis-à-vis d'un pays qui doit
encore fournir un effort considérable. Personne n'est en position
de dicter à l'Ukraine sa politique ou de déterminer à sa place
son destin. Il appartient en revanche à l'Europe de rendre aussi
facile que possible une évolution souhaitée par chacun. C'est
dans cette perspective que s'inscrit la stratégie de l'Union
européenne. Lors des tables rondes de ce colloque, nous
aborderons sans aucun doute ces diverses questions. Mais, me
direz-vous, pourquoi un tel événement à l'Assemblée nationale?
L'Ukraine
est sur le chemin de la démocratie, mais celle-ci ne se décrète
pas, elle se construit.
La
démocratie n'est pas réalisée une fois proclamée. Il faut
la construire et la faire vivre, et cela dépend souvent, plus
qu'on ne le croit, des conditions matérielles et techniques de
son implantation. C'est à ce titre que les Parlements ont le
devoir de s'entraider, et c'est pour cette raison que l'Assemblée
nationale a mis la coopération interparlementaire en bonne place
dans son action diplomatique, en aidant à l'approfondissement de
l'Etat de droit et au bon fonctionnement des institutions démocratiques.
Avant de juger de la progression de l'Etat de droit dans une démocratie
émergente, il faut d'abord se demander ce que l'on a soi-même
fait pour la favoriser.
Le
Traité d'entente et de coopération entre la France et l'Ukraine,
signé en 1992, pose le principe du développement d'actions de
coopération dans le domaine des institutions démocratiques et de
l'Etat de droit, ainsi que celui d'une coopération renforcée
entre les Parlements des deux Etats.
L'action
de l'Assemblée en ce sens est importante. C'est dans cet
esprit que l'Assemblée nationale a mis en oeuvre une coopération
technique régulière avec le Parlement ukrainien. Ainsi, une délégation
de haut niveau, composée de cinq Présidents de Commission de la
Verkhovna Rada, dont M. Ostach qui est aujourd'hui présent,
"a suivi en mars 2001 un programme technique qui portait sur
les questions budgétaires, sur la constitutionnalité des lois
ainsi que sur les procédures parlementaires.
Le
Bureau de l'Assemblée nationale a également voulu apporter son
concours à l'émergence de la démocratie ukrainienne en envoyant,
à la demande des autorités ukrainiennes, des observateurs lors
de toutes les élections législatives et présidentielles qui s'y
sont tenues depuis l'indépendance.
L'Assemblée
nationale est un lieu où les occasions de contacts sont
multiples. C'est à cette fin qu'ont été créés les groupes
d'amitié, et c'est parce que le groupe d'amitié France-Ukraine a
été particulièrement actif depuis sa création, en 1993, que le
colloque d'aujourd'hui a pu être organisé. Outre les contacts réguliers
qu'il entretient avec des personnalités et des délégations
ukrainiennes, ce groupe d'amitié a également été régulièrement
associé aux commissions mixtes franco-ukrainiennes organisées
par le ministère des finances ou dans le cadre de la coopération
européenne.
Ses
membres participent à des actions locales ou nationales.
Bemadette Isaac-Sibille travaille avec la région de
Dnipropetrovsk. Claude Birraux, vice-président de l'Office des
Choix technologiques, est allé à Kyïv pour assister aux
auditions parlementaires à l'occasion de la fermeture de la
centrale de Tchernobyl, en décembre 2000. René André, vice-président
du groupe d'amitié France-Ukraine a représenté l'Assemblée
nationale au dernier Forum franco-ukrainien à Kyïv.
L'Europe
de demain se construit en différences étapes, et l'élargissement
ne doit pas être perçu par l'Ukraine comme un problème.
L'Ukraine indépendante et démocratique est encore en
construction mais les progrès réalisés sont considérables. Il
importe d'encourager l'Ukraine dans la voie qu'elle s'est choisie,
qui est celle d'une indépendance affirmée et d'un retour à
l'Europe. Je vous souhaite à tous la bienvenue, et à nos amis
ukrainiens, je dirai : ( vitayemo " (" bienvenue "
en ukrainien).
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